En séquençant l'ADN de deux espèces de fourmis, des chercheurs américains cherchent à comprendre pourquoi les reines ont une espérance de vie dix fois plus longue que les ouvrières, en ayant pourtant le même patrimoine génétique.
La solution de ce mystère ? Epigénétique, mon cher Watson...
Après l'abeille domestique en 2006, le séquençage du génome de la fourmi, entamé en 2008, a pris fin : il a enfin été entièrement réalisé par des chercheurs américains, ce qui apporte un nouvel éclairage aux comportements sociaux exceptionnellement développés de ces insectes... mais peut aussi contribuer à percer les secrets de la longévité.
"Les fourmis sont des créatures extrêmement sociales et leur capacité de survie dépend de leur groupe d'une manière très similaire aux humains", observe Danny Reinberg, professeur de biochimie au Centre médical Langone de l'Université de New York, responsable d'un projet de recherche publié dans la revue Science parue vendredi.
"Qu'elles soient travailleuses, soldats ou reines, les fourmis sont un modèle de recherche idéal pour déterminer si l'épigénétique influence le comportement et le vieillissement".
L'épigénétique étudie comment l'environnement et l'histoire individuelle influent sur les gènes, et plus précisément l'ensemble des modifications génétiques transmissibles d'une génération à l'autre.
Le professeur Reinberg cherche à comprendre comment l'épigénétique agit sur la longévité dans certaines fourmilières où les reines vivent jusqu'à dix fois plus longtemps que les fourmis travailleuses. L'espérance de vie de ces dernières varie de trois semaines à un an tandis que la reine peut vivre plusieurs années.
Quand la reine meurt, une ouvrière prend sa place
Les fourmis dont le génome a été séquencé appartiennent à l'espèce dite de "fourmi sauteuse de Jerdon" et à celle appelée "fourmi du charpentier de Floride". Environ 20% des gènes des deux espèces de fourmi sont uniques tandis que quelque 33% sont identiques à ceux des humains. Les fourmis sauteuses vivent dans de petites colonies.
Quand la reine meurt, des combats éclatent entre les ouvrières jusqu'à ce qu'une nouvelle souveraine s'impose. Les auteurs de l'étude ont trouvé chez ces nouvelles reines, qui vivent plus longtemps que leurs ouvrières, davantage de protéines liées à la longévité et de télomérases, une enzyme réparatrice de chromosomes. "Il reste désormais à manipuler le génome de ces fourmis pour déterminer la fonction spécifique des gènes liés au vieillissement et au comportement", commente Roberto Bonasio, un des chercheurs.
"L'étude des génomes de ces deux espèces de fourmi était fascinante car elle a révélé les différents comportements et rôles joués par les travailleuses", relève par ailleurs le Dr Reinberg.
"Puisque toutes les fourmis de la colonie naissent avec le même code génétique, les différents branchements neuronaux qui déterminent le comportement correspondant à chaque rang social doivent être contrôlés par des mécanismes épigénétiques", déduit-il.
L'épigénétique détermine quels sont les gènes qui sont activés dans les cellules et comment une modification génétique peut se transmettre dans les futures générations de cellules, explique-t-il.
Selon lui "ces travaux sur le génome de la fourmi pourraient aider à mieux comprendre les effets de l'épigénétique sur les fonctions du cerveau humain".